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Le champ visuel

C’est l’examen le plus ancien

L’étude des seuils de sensibilité rétinienne

La neuropathie optique glaucomateuse va entrainer une modification de la sensibilité rétinienne dans des territoires rétiniens qui sont caractéristiques de la maladie. Les différents types de champ visuel utilisés en pratique quotidienne reposent tous sur ce principe et visent à établir une cartographie de la sensibilité lorsqu’on stimule la rétine par une cible plus ou lumineuse et plus ou moins grande, le sujet répondant lorsqu’il voit la cible. L’examen réalise donc un examen fonctionnel de la fonction neuro-sensorielle atteinte dans le glaucome.

Le champ visuel statique

C’est le champ visuel “blanc-blanc” dans les 24 degrés centraux. La technique actuelle repose sur une stratégie automatisée, le recueil des données étant assisté par un ordinateur. Ce type de relevé permet d’améliorer la reproductibilité de l’examen, bien qu’il demeure bien entendu entièrement subjectif, dépendant de la fiabilité des réponses du patient (cible vue ou non vue). 

Le recueil des données

Le patient place sa tête dans la coupole, sonnette dans la main. Il doit fixer en permanence un point fixe droit devant, et  l’appareil va projeter des cibles lumineuses sur le fond blanc de la coupole en périphérie du point de fixation, d’intensités variables. Le patient devra sonner quand il voit la cible, c’est la technique du seuil. L’appareil reteste lorsqu’il l’estime nécessaire pour éliminer faux positifs et faux négatifs. Il établira à la fin de l’examen un indice de fiabilité dont il faudra tenir compte dans l’interprétation du champ. Les zones dans les  24° centraux du champ sont explorées pas à pas, et une cartographie de sensibilité rétinienne est tracée, chaque œil séparément, l’examen durant de 20 à 30 minutes. Ceci constitue une périmétrie standard automatisée, de loin la méthode la plus utilisée.

La topographie des déficits

L’anatomie de la rétine explique les lésions observées. Le glaucome atteint des paquets de fibres rétiniennes, d’abord dans des petites zones localisées, les scotomes, provoquant une diminution de sensibilité à la lumière avec augmentation du seuil de perception. L’atteinte du faisceau papillo-maculaire entraîne des scotomes para-centraux, celle des faisceaux arqués des scotomes de Bjerrum pathognomoniques du glaucome. Puis ces scotomes s’étendent sur des zones fasciculaires plus étendues, suivant la morphologie des différents faisceaux de fibres rétiniennes qui vont constituer le nerf optique (tache aveugle). Au terme de l’évolution, la totalité du champ visuel est atteint, et la cécité survient lorsque la zone maculaire est concernée par l’aggravation. Soulignons une fois de plus que l’évolution est longtemps silencieuse, mais que l’aggravation finale peut se produire en quelques mois, malgré le traitement si celui-ci est donné trop tard.

Fibres nerveuses rétiniennes
Différents types de scotomes
On distingue très nettement sur cette rétinographie le chemin des faisceaux temporaux inférieurs courant le long des vaisseaux et convergents vers le nerf optique, et qu’on distingue mieux sur un cliché désaturé.
Scotome de Seidel
Scotome caeco-central
Scotome para-central
Ressaut nasal
Scotome de Bjerrum
Scotome arciforme
Champ agonique
  1. Le scotome de Bjerrum et le scotome paracentral sont deux modes de découverte fréquents des anomalies du champ visuel. Les patients n’en sont pas conscients tant que l’atteinte n’est pas trop étendue, l’acuité visuelle est conservée pendant longtemps.
  2. Il faut traquer les différences entre les hémichamps visuels inférieurs et supérieurs, de part et d’autre du méridien horizontal, comme le ressaut nasal qui est typique du glaucome.
  3. En cas de champ visuel agonique, le handicap est au contraire très important, le patient possédant un résidu de vision centrale, mais avec perte totale du champ visuel périphérique (vision « en canon de fusil »).

Le parallélisme avec le fond d'oeil

Il est parfois très parlant, dans un cas typique de glaucome asymétrique évolué, de retrouver au fond d’oeil le calque des atteintes du champ : l’anatomie rejoint parfaitement le fonctionnel.  Dans le cas ci-dessous, l’excavation pratiquement totale du nerf optique droit correspond à un déficit en anneau presque complet du champ, alors que l’excavation du nerf optique gauche, moins importante, entraine une atteinte moins sévère du champ visuel, épargnant la périphérie.

Ce cas de déficit non glaucomateux souligne l’importance de toujours vérifier l’absence d’anomalie rétinienne dans l’interprétation du champ visuel. Dans ce cas de toxoplasmose congénitale, le fond d’œil montre un foyer cicatriciel du côté droit, dans la région inter-papillomaculaire en temporal supérieur, entraînant un scotome arciforme temporal inférieur au champ visuel (car les images sont inversées) simulant un déficit glaucomateux.

La caractérisation des déficits

L’analyse en niveaux de gris, repérant la morphologie des scotomes, permet une lecture rapide du champ, mais elle est insuffisante pour conclure à la normalité ou pas de l’examen.
La cartographie en décibels :  pour chaque point du relevé, la valeur de la sensibilité lumineuse est exprimée en décibels, la valeur maximale étant celle de la fovéa.
Les indices globaux : ils sont obtenus en comparant les résultats des mesures de seuil en décibels avec ceux d’une base de données de patients normaux classés en fonction de leur âge. La déviation totale (MD) est calculée sur l’ensemble des points du champ visuel. Plus le chiffre en valeur absolu est grand, plus l’examen est anormal. Un indice statistique inférieur à 1 (P<1%) signifie que le résultat à moins de 1% de chance d’être normal. La déviation individuelle (PSD) évalue pour le sujet le caractère uniforme ou non des déficit en évaluant par rapport à la normale la différence des sensibilités rétiniennes de points contigus. Elle permet d’apprécier la profondeur des scotomes. 

Le suivi des anomalies du champ

C’est un point fondamental de la surveillance de tout glaucome : les déficits du champ visuels sont rarement réversibles, et uniquement si le patient est traité tôt. Lorsqu’un glaucome vient d’être diagnostiqué, il faut pratiquer au moins 3 champs dans l’année, puis tous les six mois si tout va bien.

La classification des déficits du champ

Stade 0 : pas de déficit mais hypertonie oculaire
Stade 1 : Déficit débutant, MD entre 0 et-6 dB
Stade 2 : Déficit modéré, MD entre -6 et -12 dB
Stade 3 : Déficit avancé, MD entre -12 et -20 dB
Stade 4 : Déficit sévère, MD < -20 dB
Stade 5 : Examen non réalisable

Les anomalies relevées au champ visuel peuvent être classées en fonction de leur importance, ce qui a son intérêt bien évidemment, mais tout déficit modéré n’est pas synonyme de glaucome. En cas de doute, ll faudra alors évaluer le patient en appréciant les autres examens, en particulier l’OCT du nerf optique, et éliminer les autres causes, rétiniennes en particulier. Le suivi comparatif des examens du champ visuel apporte souvent la solution.

L’évolution spontanée

Les anomalies sur le plan topographique voient habituellement un scotome péricentral de début, ou un ressaut nasal en moyenne périphérie, évoluer vers des déficits arciformes se multipliants, pour aboutir à une occultation généralisée du champ, laissant parfois un ilot de vison central avant la cécité.  Cette évolution historique, lorsqu’on avait pas les moyens actuels, ne se voit plus que très rarement.

Le suivi comparatif

La question qui se pose est la suivante : comment dépister une aggravation significative des déficits ? Avec deux champ visuels par an chez un progresseur « moyen-rapide », c’est à dire avec une perte de -0,5à -2 dB/ an,  il faut 5 ans pour identifier une conversion glaucomateuse et 6,5 ans pour un progresseur lent (-0,25 dB par an de perte fonctionnelle). Cette durée peut être rédhibitoire car il faut réagir rapidement devant un cas qui s’aggrave. L’appareil Humphrey (un des plus répandu) propose un programme d’analyse de progression : le GPA. Il permet d’évaluer la probabilité statistique que le champ visuel se soit aggravé. Il faut en moyenne trois champs visuels par an pendant les trois premières années de suivi d’un patient nouvellement diagnostiqué pour pouvoir identifier le caractère plus ou moins évolutif de glaucome. 

Analyse GPA

Chaque point sur la courbe représente un champ visuel et le graphique montre une courbe descendante qui semble montrer une aggravation des déficits. Cependant l’ordinateur n’a pas considéré cela comme significatif car il ne tient jamais compte du premier examen.

Un GPA pathologique

Voici une courbe qui montre l’évolution péjorative d’un glaucome ayant bénéficié de deux champs visuels par an depuis la première consultation où le diagnostic a été porté. Le relevé débute en 2006. En 2011, le suivi sur 5 années montre une pente nettement anormale avec une perte significative (P<0,1%) de 1.4 dB par année, malgré une tension oculaire très basse à 10 mmHG. 

Une évolution favorable

Entre 2017 (à gauche) et 2018 (à droite), les déficits se sont nettement améliorés, mais le champ visuel restant un examen dont les réponses restent subjectives, trois résultats sont insuffisants pour conclure que cette amélioration est réelle et significative. L’appareil indique donc que le calcul du taux de progression exige la réalisation de 5 examens au minimum.

Le champ visuel statique OCTOPUS

Le programme Glaucome étudie un champ
de 30 degrés en étant relié à une carte du faisceaux de fibres nerveuses, permettant ainsi de tester les points les plus importants pour une meilleure corrélation structure-fonction. Il permet ainsi d’éliminer les anomalies du champ liées à d’autres causes que le glaucome comme la cataracte.

Un nombre important de programmes est disponible avec l’Octopus. La présentation des résultats est proche de celle du Humphrey mais propose en plus une courbe intéressante : la courbe de Bebie (appelée Defect curve sur le relevé). Les 59 points centraux dont le seuil a été testé sont repris et classés du plus performant au moins sensible après correction liée à l’âge. Cette courbe a tendance à s’incliner en bas à droite. Lorsqu’un résultat est normal, la courbe du patient (en gras) reste dans les limites de confiance. En cas de déficit diffus isolé, tous les points sont anormalement bas et la courbe du sujet est située en dessous et parallèle à la courbe normale. En cas de déficit localisé isolé, une partie des points est normale et les derniers points sont nettement anormaux. Cette seconde partie (en rouge) de la courbe présente une cassure vers le bas, traduisant l’existence d’un scotome. Il est donc facile de suivre l’évolution des déficits globaux et des déficits localisés. Mais, s’il existe une seule région scotomateuse l’analyse du suivi de cette région est très facile, en revanche s’il existe plusieurs scotomes cette analyse devient plus difficile.

Les autres types de champ visuel

Le champ visuel que venons de décrire, dont la firme Humphrey-Zeiss a popularisé l’usage en France, est largement celui qui est le plus utilisé. Il existe de nombreux autres tests possibles suivant des stratégies d’examen différentes, sur des machines différentes. Dans le cadre de ce site, nous exposerons uniquement les tests les plus usités en pratique quotidienne, suivant des indications plus particulières.

Le champ visuel central au seuil

Si le champ visuel automatisé le plus fréquemment utilisé explore les 24 degrés centraux dans le glaucome, une autre stratégie d’examen s’impose lorsqu’on suspecte l’existence d’un scotome central mal individualisé sur l’examen précédent : il faut alors pratiquer un examen explorant les dix degrés centraux, afin de mieux individualiser le scotome.

Champ visuel des 24 degrés centraux


Chez ce patient suspect de présenter un scotome para-central, mode de début fréquent du glaucome, la répétition des examens n’est pas en faveur d’une évolution péjorative du déficit comme on le voit habituellement, ce qui pose question sur sa nature réelle.

Champ visuel des 10 degrés centraux

Le champ visuel central au seuil montre la nature indubitablement pathologique d’un déficit temporal supérieur pathognomonique d’une atteinte structurelle temporale inférieure quadrantique tranchée au couteau typique du glaucome.

Le champ visuel cinétique de Goldmann

La périmétrie statique automatisée détaillée précédemment utilisait un test lumineux fixe  dont on augmente l’intensité jusqu’à ce qu’il soit perçu par le patient. Méthode de référence dans le glaucome, elle est longue et nécessite une attention soutenue. La périmétrie cinétique de Goldmann a été la première employée historiquement, elle est plus rapide mais moins précise et garde quelques indications encore aujourd’hui, l’examen étant réalisé dans une coupole automatisée.

Champ visuel cinétique normal

La cible est un point lumineux de taille et de luminosité données qui est déplacé de la périphérie vers le centre jusqu’à ce qu’il soit perçu. Cette méthode est répétée sur différents méridiens en faisant varier la taille et la luminosité du test. On peut ainsi faire un relevé d’isoptères de sensibilité croissante vers le pôle postérieur et la macula, de formes grossièrement circulaires et concentriques, centrés sur le nerf optique (tache aveugle).

Atteinte très sévère du champ cinétique

On peut encore utiliser la périmétrie cinétique lorsque le patient manifeste une attention visuelle très labile car le Goldmann est rapide. Ou encore lorsque l’acuité visuelle est faible : c’est le cas de ce patient du côté droit : rétrécissement du champ, exclusion des isoptères centraux les plus fins, amputation du champ visuel supérieur atteignant la région maculaire avec baisse d’acuité visuelle. Ce n’est plus considéré comme une méthode fiable de dépistage.

Le champ visuel FLICKER

La technique est assez différente : il explore également les 24 degrés centraux, mais il utilise une cible qui est très différente. Dans la stratégie précédente, le champ est dit « blanc-blanc » car la cible projetée est une lumière blanche sur un fond uniforme blanc. Le système « flicker » projette lui une grille de barres verticales alternativement blanches et noires suivant une haute fréquence temporelle afin de stimuler un petit groupe particulier de cellules ganglionnaires, sensibles aux hautes fréquences temporelles et atteintes très précocement dans le glaucome. 

Champ visuel statique
Champ visuel FLICKER (FDT)

Un exemple de cas pré-périmètrique où le champ statique est normal, avec une atteinte de l’OCT, confirmé par un scotome paracentral au FDT.

La périmétrie à doublage de fréquence (FDT-Matrix) présente des performances comparables à la périmétrie automatisée standard (PAS). La relation structure fonction est meilleure avec le Matrix qu’avec la PAS. Le Matrix permet un dépistage précoce au stade prépérimétrique et n’est pas influencé par une cataracte.Certains patients ont des difficultés à réaliser des examens en PAS , dans ce cas le Matrix est en général ressenti comme plus facile. Comme il n’y a pas de logiciel d’analyse statistique de la progression, la recherche de la progression sera faite par confrontation des examens sucessifs.

Le champ visuel bleu-jaune

La périmétrie bleu-jaune (PBJ) teste des cellules ganglionnaires rétiniennes dont la répartition sur la rétine est dispersée, dont les champs récepteurs sont larges et dont la disparition peut donc être rapidement détectée. Elle est très utile pour la détection des glaucomes prépérimétriques. La PBJ teste la voie koniocellulaire et son utilisation conjointe à la périmétrie FDT-Matrix (qui teste la voie magnocellulaire) permet d’augmenter la capacité à détecter des déficits glaucomateux précoces. En PBJ la taille des déficits est habituellement plus large et la progression des déficits plus rapide qu’en périmétrie automatisée  standard (PAS). L’inconvénient de la PBJ est d’être influencée par l’opacité des milieux oculaires, notamment par une cataracte et il n’y a pas de logiciel d’analyse statistique de la progression.  

Les marqueurs de progression

Le but est de détecter la progression et de déterminer la vitesse de progression en évaluant le taux de progression le plus vite possible. Toutes les études cliniques ont montré une très large variabilité interindividuelle de la progression ce qui souligne l’importance de l’évaluation de ces marqueurs pour une prise en charge adaptée à chaque patient. L’objectif est de réduire la perte des axones des cellules ganglionnaires (de l’ordre de dix fois supérieur à celui observé chez un sujet normal) au taux de perte physiologique, de l’ordre de 0,4% par an. Le taux de progression est un des cinq facteurs essentiels à déterminer pour une prise en charge personnalisée (sévérité de la neuropathie, espérance de vie, PIO sans traitement, facteurs de risque, taux de progression). Il existe un consensus en ce qui concerne la réduction de la qualité de vie lorsqu’une perte d’au moins 50% du champ visuel sur le meilleur œil du patient est présente, ce qui correspond à une valeur du déficit moyen d’environ 15 dB. Le but est donc de maintenir la fonction visuelle au-dessus d’un niveau de -15 dB pendant toute l’espérance de vie du patient, ce qui est très important et n’est pas toujours facile à atteindre. Les marqueurs de progression de l’atteinte fonctionnelle au champ visuel : leur détermination repose sur l’analyse en périmètre automatisée standard blanc-blanc, avec un nombre suffisant de relevés avec la même stratégie sur le même appareil. La détection d’une aggravation en analyse d’événements repose sur la présence d’au moins trois points avec une progression et ce sur au moins trois tests consécutifs pour estimer une progression probable avec le périmètre de Humphrey. Cette analyse permet de détecter plus rapidement une évolution qu’avec l’analyse de tendance mais est moins spécifique. Les analyses de tendance représentées par une régression linéaire des indices globaux dans le temps, exprimée en pente annuelle de DB pour l’indice MD ou en pente annuelle de pourcentage pour l’indice VFI. Elles apportent une quantification et une prédiction de l’évolution globale mais nécessite plus d’examen ( 6 à 8) et un suivi plus long que la détection d’une aggravation en analyse d’évènement. Dans le glaucome très évolué, il faut essentiellement tenir compte de la pente de progression des indices globaux (MD, VFI) du champ visuel central de 10°. On peut retenir comme critères de stabilité une pente de progression de l’indice MD inférieure à -0,12 dB/an pour le glaucomes débutants et inférieur à -0,21 dB /an pour les glaucomes avancés, ainsi qu’une pente du VFI inférieure à -0,23%/an pour les glaucomes débutants et inférieur à -1 ,12% pour les glaucomes avancés.

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